12 Fév Bercer la peur

Dernièrement, j’ai eu le grand bonheur de bercer une toute petite fille de 6 jours pendant presque deux heures. Elle était profondément endormie, abandonnée à la chaleur de mes bras.  Ou était-ce moi avandonnée à la chaleur de ce petit corps tout neuf et détendu. Qui a donné le plus à qui ? Malgré l’échange, j’ai davantage reçu d’elle,  je crois. Je me sens humble et reconnaissante face à un tel miracle…

J’ai retrouvé ensuite ce passage de Denis Pelletier dans « Ces îles en nous », un très beau livre qui date de 1987 mais qui m’inspire encore:

Petit insulaire de la mère profonde, voici ce que tu devrais savoir avant de venir au monde. Tu n’as  vraiment aucune idée de cet autre monde. Certes, tu l’entends, des secousses te parviennent de l’autre versant, tu connais les rythmes, les balancements, mais jamais, au grand jamais, tu ne peux soupçonner l’espace. Comment dire ? Tu sens tout autour de toi des parois molles et chaudes qui t’enveloppent. Ton existence t’est ainsi constamment rappelée par les chocs que tu connais, par les pressions qui s’exercent sur toi. Imagine un seul instant que tu perds le contact avec cette substance qui t’entoure. C’est cela l’espace, le temps où tu ne sens plus rien. Je sais, c’est affolant. Les premières fois, tu vas crier, et il faudra vite que ta mère, ton père, quelqu’un, vienne te prendre, te toucher, te faire exister en faisant partout pression sur ta peau. Les caresses te diront que tu es bien vivant et que tu n’es pas perdu dans le vide.

Tout espace où tu aimeras te blottir et te ramasser sur toi-même sera le commencement d’un refuge. Chaque fois que tu seras bien installé quelque part pour y demeurer, tu pourras t’adonner, petit insulaire, à l’aventure de la solitude. L’espace clos aura sur toi un effet d’intimité. Tu ressentiras, sans pouvoir te l’expliquer, la familiarité rassurante d’être ainsi  au milieu d’un volume qui t’entoure et te contient. ( page 15)

Que de guérison pour moi qui ai été très peu prise, cajolée, bercée dans des bras chauds. Je sais maintenant que chaque moment d’enveloppement ou de solitude auront été confirmants de mon existence. Cette solitude connue dans les premiers mois de ma vie, et souvent réprouvée par la suite, aura peut-être été des plus nourrissante pour moi. J’ai l’impression d’avoir eu la chance, dans l’espace clos où je vivais et qui me contenait,  d’y développer ma force et, somme toute, ma vie…

 

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